MOMENT PARFAIT

Je suis né le jour de la mort de Staline

Que vais-je faire de ça ? Je n’en sais rien. Ça me va.

Ce départ m’ouvre toutes sortes d’horizons, je choisis pourtant de rester dans ma chambre, l’oreille collée à mon transistor, à l’affût de ces musiques nouvelles qui se répandent sur les ondes. Putain, sans aller bien loin, on peut drôlement voyager !

Après ma sœur qui avait eu la bonne idée de posséder le premier 25 cm de Johnny et le Tous les garçons et les filles de Françoise Hardy, une autre révolution m’attend. Le grand frère d’un copain nous entraine dans sa chambre et pose non sans solennité un 45 tours sur son Teppaz, Satisfaction des Rolling Stones.

J’ai 12 ans, ces 3 minutes et 43 secondes viennent de changer ma vie pour toujours. C’est sauvage, ça transpire l’irrévérence et la volupté, ça parait presque dangereux, mais c’est terriblement excitant.

Et la révolution est bien plus vaste que je ne pensais, va falloir joyeusement bosser pour comprendre. Cinéma, litérature, politique… de Godard à Peckinpah, de la Beat Generation à Albert Cohen et sa Belle du Seigneur, d’Andy Warhol à la critique rock, y’a pas à dire, c’est certain, plus rien ne sera exactement comme avant.

Dépourvu de la moindre aptitude à jouer d’un instrument, mon drame, je me tourne vers l’image, sentant bien que mon œil prend plaisir à regarder le monde et ceux qui l’habitent.

En toute innocence, mes parents ont bien fait les choses, il se trouve que mon parrain est photographe. Ça aide.

Vous savez l’effet que ça fait de trainer dans un studio de photo de mode alors qu’on est encore pré-pubère ?

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